Direct Trade: une aventure humaine, de la ferme à la tasse

Nous avons rencontré Dajo Aertssen, barista chez Coffee Makers à Lille, qui revient tout juste du Brésil après un long séjour de 9 mois. Là-bas,  il a rencontré Deneval, ce producteur de café passionné depuis des générations et qui a permis d’offrir le premier café « Direct Trade » aux amateurs de cafés lillois… Voici le récit de son aventure humaine.

Bonjour et bienvenue en France Dajo! Pour ceux qui ne te connaissent pas, peux-tu te présenter?

Je m’appelle Dajo Aertssen, je suis belge, j’ai une formation de professeur d’EPS et petit à petit, je me suis passionné pour le café et j’ai donc changé de métier. Quand j’avais 12 ans, j’ai failli faire une école dans la restauration, j’adorais la cuisine, mais mes parents voulaient que je fasse d’abord des études « sérieuses ». Donc, aujourd’hui, on peut dire que je retourne un peu vers ce qui me passionne depuis le début.

J’ai découvert le monde du café il y a 5 ans en Australie où je travaillais dans un café « classique », et c’est seulement en arrivant chez Coffee Makers à Lille que j’ai vraiment découvert le café de spécialité. J’y ai travaillé 1 an et demi avant de partir à l’aventure au Brésil.

Et comment as-tu décidé de partir au Brésil? Avais-tu déjà en tête un projet de Direct Trade?

Ma copine Coralie avait la possibilité de travailler un an à l’étranger et dès le début, je me suis dit qu’on pourrait partir ensemble et choisir un pays qui produit du café. On a vite choisi le Brésil par rapport à ses possibilités et aussi, car elle ne voulait pas partir en Indonésie ou en Ethiopie… donc le choix était fait, c’était le Brésil. Nous avons cherché ensuite les villes les plus proches des plantations de café et c’est comme ça, que nous sommes arrivés à Vitoria  la capitale d’Espirito Santo  qui est un état de la taille de la Belgique et qui se situe à côté de Minas Gerais, de la taille de la France et qui produit près de 75% du café arabica.

Une fois là-bas, comment as-tu toqué aux portes des fermes?

Je savais qu’on allait partir à Vitoria et j’avais déjà commencé à gouter en France tous les cafés provenant de la région d’Espirito Santo. J’en avais trouvé que deux; un de l ‘Arbre à Café et un de Square Miles.  Le café était vraiment bon. J’avais le nom du producteur, mais sur internet, je ne trouvais rien!

Une fois sur place, ma copine a mis une annonce sur Facebook pour nous trouver un appartement. On a eu une centaine de personnes qui nous ont répondu… Ils étaient tous ravis qu’on soit là, ils nous invitaient chez eux, etc… Au début, on s’est dit que c’était des arnaques, mais non, ils étaient, tout simplement, très accueillants!

Ensuite par un pur hasard, une fille nous a contactés et nous a mis en relation avec un ami, André, qui avait hérité d’une partie d’une plantation. Lui, était avocat, il n’y connaissait rien, mais était intrigué par le monde du café de spécialité et donc il était en train de voyager dans l’Etat pour en apprendre davantage.  Et comme, il trouvait mon projet intéressant et que j’étais, en plus, un barista avec des relations, il m’a proposé que l’on voyage ensemble…

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André et Dajo

A partir de là, on a commencé à faire des petits voyages les weekends et à visiter des fermes. Quand je l’ai rencontré, André venait de trouver un producteur qui avait encore des cerises de café à récolter et était enchanté à l’idée de nous rencontrer… c’était LA ferme du café que j’avais goûté en France! La ferme de Deneval !

Encore plus étonnant, ces producteurs ne savaient pas que leur café était vendu à Londres. Alors, quand je leur ai montré le paquet de Square Miles, ils étaient à deux doigts de pleurer!

Et ensuite? Tu es resté là-bas?

Avec André, on a continué à visiter d’autres fermes les weekends, mais on ne s’y est pas attardés car on avait trouvé Deneval, qui était un super contact.  J’y suis donc allés plusieurs fois et pour plus longtemps.

Mais qu’est-ce que tu faisais toute la journée à la ferme?

Je faisais vraiment de tout, c’était très divers… J‘ai appris tout le processus de production du café et j’ai aussi participé au travail manuel dans les champs. Malheureusement, on n’était plus en période de récolte alors, j’ai mis le fertilisant, enlevé les mauvaises herbes,  etc… tout ce travail pas très sexy, mais qui fait partie du processus.

Je les accompagnais aussi dans les évènements, les ateliers, la visite d’autres fermes, des salons, etc… On échangeait nos connaissances. Je leur apprenais à faire des cafés filtres, je montrais les paramètres pour préparer un bon café ou comment utiliser une balance,… tout ça, c’était nouveau pour eux.

Ensuite, je cuisinais pas mal aussi, avec les femmes. Il y a une vraie séparation entre la femme au foyer et les hommes dans les champs. Sauf, bien sûr, en période de récolte où elles sont aussi dans les champs pour la cueillette.

Par ailleurs, j’ai aussi essayé de revaloriser les fruits et légumes qu’ils possédaient et dont ils ne se préoccupaient pas.

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As-tu pu récolter les fruits de ton travail?

Je suis arrivé en période hors récolte, mais j’ai eu de la chance vers la fin de mon séjour car les cerises sont arrivées avec un mois d’avance. J’ai donc pu avoir le temps de vivre une récolte.

Et c’est une bonne chose d’avoir de l’avance sur une récolte?

Pour moi, oui, mais pour Deneval c’était autre chose. Au niveau de la qualité ça ne change rien. Par contre, ils n’étaient pas préparés à ça… Ils étaient en plein dans les travaux pour monter une nouvelle structure, un lieu de torréfaction et de dégustation. Ils ont perdu pas mal de cerises, qui étaient prêtes à être récoltées, mais qu’ils ne pouvaient pas, faute d’organisation.

Ne pouvaient-ils pas embaucher une main-d’oeuvre pour ramasser ces cerises?

C’est très difficile car avec un café standard, on peut cueillir toutes les cerises, mûres et pas mûres, sur la branche. Mais avec un café de spécialité, il faut faire une cueillette sélective. Il est très difficile de trouver des personnes qui veulent bien faire du sélectif ( ne prendre que les cerises mûres) car cette méthode est très récente dans la région… ou alors, il faut les payer très très chers.

En récolte standard, on obtient entre 5 et 15 volumes, alors qu’en sélectif, on en récolte à peine 2 volumes par jour et par personne. On ne peut donc pas les payer en volume, mais en forfait jour. Et pour finir, même le forfait jour n’est pas une bonne solution car les gens ne sont pas bien formés à la sélection et donc la qualité n’est pas au rendez-vous. C’est donc Deneval et sa famille qui font habituellement la récolte sélective.

Peux-tu nous en dire plus sur la famille de Deneval?

Deneval fait partie de la 4ème génération de producteurs de café, c’est son arrière-arrière-grand-père qui a commencé dans la même vallée. Petit à petit, il les a distribué à ses enfants et petits-enfants. Aujourd’hui, il y a une vingtaine de familles sur ces terres. Deneval, lui-même a 3 fils et une fille. Ils travaillent tous aux champs et ont des responsabilités différentes. Il y a Rosival, l’ainé, qui avait quitté le foyer et ne voulait pas suivre les traces de son père, mais qui est revenu, entendant qu’il y avait du business à faire avec le café de spécialité! Il est maintenant torréfacteur, dégustateur et commercial. Il y a Douglas, qui travaille dans la production avec Deneval, une vraie machine! Junior, le plus jeune, qui aide aussi dans les champs. Et la fille Valzilene qui aide sa mère et récolte les cerises.

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Dajo avec Deneval et son épouse

Comment ils-t’ont accueilli?

Dès le début, ils étaient super accueillants. Je ne parlais pas le portugais et eux, ils ne parlaient aucun mot d’anglais… Je dormais dans la chambre d’un des fils dans une maison super simple entre quatre murs et très bien aérée, à moitié ouverte.

Quand est-ce que les relations sont devenues commerciales?

Un jour, Deneval m’a dit « Aujourd’hui, on a des personnes de la France qui viennent nous visiter »… C’était Felipe Croce des FAF Coffees et Antoine Netien de Coutume Café et c’est à ce moment que je me suis dit que je pourrais aussi acheter directement chez mon producteur pour Coffee Makers.

Tu avais donc ton premier café Direct Trade entre tes mains…

Oui, mais il y a différents types de Direct Trade… Pour moi c’est « Savoir tout ce qu’il se passe à la ferme, s’approcher au plus près du produit brut et le communiquer au client ». C’est aussi, avoir un projet sur le long terme avec un producteur. Ne pas dire « ah cette année son café est moins bon, je ne vais pas l’acheter… » Il faut s’engager. Et cela, se reflète tôt ou tard dans la qualité.

Et plus encore que la qualité en tasse, ce qui est important pour moi, ce sont les conditions de vie et le respect de la nature. Pendant des années, la culture mondiale de café n’ a pas pris soin de l’environnement. Je trouve donc qu’il est aujourd’hui essentiel de soutenir les producteurs qui plantent des arbres, diminuent l’usage de pesticides, trient les déchets, économisent l’eau, … 

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La famille goûte pour la première fois leur café torréfié par Coffee Makers

Il faut aussi savoir qu’il y a beaucoup de personnes qui cherchent du bon café, c’est donc un moyen de sécuriser son marché et avoir une relation de confiance. Et pour cela, il faut trouver un très bon producteur, qui soit passionné, avec un potentiel et une vision globale.

Et les inconvénients?

Il faut s’engager, investir beaucoup de temps et cela engage des frais.  Et pour continuer à avoir de la qualité, il faut payer mieux que le prix du marché, plus de deux fois son prix.

Pour vous faire une idée, le prix du marché de café standard était de 450 BRL le sac de 60kg l’année dernière et Deneval avait obtenu 650 BRL pour son café de spécialité. Mais sachant que le coût de production d’un café de spécialité est beaucoup plus élevé, même ce prix n’est pas un prix viable et durable. Il faut au moins 850 BRL, voire 1000 BRL pour investir et faire tourner la ferme. Et c’est ce dernier montant que nous nous sommes engagé à leur reverser cette année.

Qu’est-ce qui t’a le plus étonné durant cette aventure?

Tout d’abord, tout ce travail! On n’a aucune idée de tout ce qu’il faut faire pour obtenir un bon café de spécialité. La cueillette qui est sélective, le temps de séchage qui est plus long, les sacs de transport « spécial café vert » qui sont plus chers,… Sans parler du fait qu’il faut encore trouver les fameux acheteurs de cafés de spécialité, qu’il faut payer des experts Q-grader pour noter le grain, négocier et finir par être payé avec un différé de 3-4 mois… c’est beaucoup de travail.

Ensuite, la deuxième chose qui m’a le plus frappé, c’est la religion. Dans cette partie rurale, tous les habitants sont croyants. Il y a Dieu et le diable, sans presque rien au milieu… Quand je leur ai dit que j’étais athée, ils m’ont tout de même accueilli sans aucune réserve car ils disaient que c’était Dieu qui m’avait amené chez eux.

Et maintenant? Quels sont tes projets?

En ce moment, je suis en train de préparer un nouveau projet à Lille. Et prochainement, j’aimerais beaucoup faire un projet similaire en Afrique.

Mon objectif étant de continuer de rapprocher le plus possible les producteurs et les consommateurs en leur faisant prendre conscience de tout le travail fourni en amont.

MERCI pour ce témoignage Dajo!

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